L’Évangile (cette année, selon Saint Luc) est centré sur la mission de Jean-Baptiste : annoncer Celui qui vient, le Christ. Pendant tout ce temps de l’Avent, nous nous préparons à l’accueillir comme un enfant dans le dénuement de la crèche et voilà que Jean nous le présente venant nous baptiser « dans l’Esprit-Saint et le feu », tenant « à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé : il amassera le grain dans son grenier, quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas… »

De quoi nous déstabiliser ! Comment donc entendre ces paroles ? Comment les comprendre alors que les deux premières lectures et le psaume nous parlent de joie et d’exultation ?

Sophonie

Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël !
Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem !

… Le Seigneur ton Dieu est en toi … Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ;
il exultera pour toi et se réjouira, comme aux jours de fête. 

 

Isaïe

Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ; il est pour moi le salut.
Exultant de joie, vous puiserez les eaux aux sources du salut.

… Jubilez, criez de joie, habitants de Sion, car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël !

 

Saint Paul, dans la lettre aux Philippiens

Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie.

… Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce,
pour faire connaître à Dieu vos demandes.
Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir,
gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus.

Jean-Baptiste parle-t-il bien de ce Jésus, Fils du Dieu que les Prophètes annonçaient comme fidèle à ses promesses ? Promesses de joie et de paix, fruits de la prière du chrétien si l’on en croit saint Paul… Avec ces textes, la liturgie de l’Eglise nous invite bien à vivre ce troisième dimanche de l’Avent comme le « Dimanche de la joie ».

Mais de quelle joie s’agit-il ?

Nos vies personnelles sont bien souvent une succession de temps de bonheur et de malheur – ou difficultés en tous genres. Si en ce moment nous sommes dans une « phase heureuse », ces lectures trouveront facilement un écho en nous.

Il faut aussi composer avec notre tempérament. Si nous sommes de nature pessimiste, les accents alarmistes du Baptiste nous paraitront de circonstance, équilibrant de façon plus réaliste les envolées prophétiques…

Mais est-ce ainsi que nous sommes appelés à faire nôtre la Parole de Dieu ?

Bien sûr, c’est en chacun de nous que cette Parole doit prendre chair, chacun avec ses richesses et ses failles, chacun se débrouillant comme il peut avec son histoire… et avec l’histoire du monde.

L’histoire du monde, l’histoire de l’Eglise aujourd’hui… Pas de quoi nous faire bondir d’allégresse ! Même les plus optimistes ont du mal à tenir le cap.

Et pourtant, c’est bien dans l’histoire de notre monde que Dieu est entré par le Christ. L’Eglise, notre Eglise est d’abord son Eglise… « sainte, pure, immaculée », écrit saint Paul. Le lieu où sa miséricorde agit avec puissance…

« Que devons-nous faire ? » interrogeaient les foules venant se faire baptiser par Jean.

Que devons-nous faire pour que cette joie promise « habite [nos] cœurs et [nos] pensées » dans notre histoire aujourd’hui – quels que soient nos états d’âme – dans notre monde, dans notre Eglise aujourd’hui – quoi qu’il en soit des turpitudes de toutes sortes ?

Il y a un peu plus d’un siècle, Emile Coué rencontrait un certain succès en répétant à qui voulait l’entendre que, « si étant malade, nous nous imaginons que la guérison va se produire, celle-ci se produira si elle est possible. Si elle ne l’est pas, nous obtiendrons le maximum d’améliorations qu’il est possible d’obtenir ». Faut-il de la même façon nous prédisposer à la joie en adoptant un mode de vie fondée sur la pensée positive ?

« Le voici qui vient, Celui qui est plus fort que moi… Lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu, tenant à la main la pelle à vanner… » nous annonce Jean aujourd’hui. La pelle qui va faire voler le blé pour le purifier des scories de la paille… Le blé vole, débarrassé de la bale grâce au souffle du vent, comme la joie, insaisissable, inattendue, au souffle de l’Esprit, jusqu’au cœur de l’épreuve.

Dans son beau film « Et les Mistrals gagnants », Anne-Sophie Julliand témoigne que rien n’empêche la joie… pas même la souffrance. Au cœur même de la souffrance la joie peut se révéler.

Aujourd’hui, en ce dimanche de la joie, Jean nous invite à nous préparer à recevoir Celui qui nous baptisera dans l’Esprit, autrement dit dans le Souffle. Mais ce baptême sera d’abord son baptême : « du baptême dont je dois être baptisé, vous serez baptisés ». (Mc 10,39).

« Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus,

lui qui étant de condition divine n’a pas retenu jalousement le rang qui l’égalait à Dieu … » Ph 2,5-6

« Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix… » He 12,2

La Nativité, d’une certaine façon, c’est le monde à l’envers : Dieu qui se fait homme pour que l’homme devienne Dieu !

Et l’Evangile, d’une certaine façon, c’est apprendre à entrer dans « ce monde à l’envers », un monde qui va à l’encontre de nos manières de voir et de penser…

La joie telle qu’on la rêve, c’est ce sentiment qui fait qu’on se sent bien, heureux, soulagé de tout ce qui nous pèse et nous entrave etc.

En Dieu, Jésus goûte la plénitude d’une joie qu’il vient nous partager, y renonçant pour lui dans le mouvement même qui le fait entrer dans notre humanité. L’humanité qu’il vient remplir de sa joie, celle de Dieu, c’est l’humanité transfigurée, renouvelée par le Souffle qui disperse la bale de nos masques et de nos mesquineries.

« Que devons-nous faire ? »

« Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ! »

Le secret de la joie de Dieu nous est donné aujourd’hui par la bouche de Jean : nous laisser entrainer dans ce grand mouvement du Christ qui, venant de Dieu, s’abaisse jusqu’à nous, partageant notre vie jusque dans la mort, pour nous entrainer à sa suite dans sa joie.

A notre tour, osons ce lâcher-prise, partageons largement, sans compter, sans crainte de manquer, de perdre notre confort. « Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien. » Sa paix et sa joie sont promises à ceux qui s’en remettent totalement à lui, se laissant renouveler par son amour…

Sœur Geneviève-Emmanuelle